lettre rébublique

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title: "« J'ai 21 ans et je ne crois plus en cette république moribonde »"
date: 2021-01-11T13:09:00+02:00
description: "Je suis tombé sur une lettre d'un étudiant de 21 ans qui désespère. Je m'y suis pas mal retrouvé, alors je la reposte sur mon blog."
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Je suis tombé sur une lettre d'un étudiant de 21 ans qui désespère. Je m'y suis pas mal retrouvé, alors je la reposte sur mon blog. La version pdf : [lettre originale](./lettre_republique_moribonde.pdf)
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Bonjour Monsieur,
Ce mail n'appelle pas nécessairement de réponse de votre part, je cherchais simplement à écrire **mon désarroi**.
Ne sachant plus à qui faire part du profond mal-être qui m'habite, c'est vous qui m'êtes venu à l'esprit.
Même si cela remonte à longtemps, l'année que j'ai passée en cours avec vous a eu une influence déterminante sur les valeurs et les idéaux qui sont aujourd'hui miens et que je tente de défendre à tout prix, c'est pour cela que j'ai l'intime conviction que vous serez parmi les plus à même de comprendre ce que j'essaye d'exprimer.
Ces dernières semaines ont eu raison **du peu d'espoir qu'il me restait**.
Comment pourrait-il en être autrement ?
Cette année était celle de mes 21 ans, c'est également celle qui a vu **disparaître mon envie de me battre** pour un monde meilleur.
Chaque semaine **je manifeste inlassablement** avec mes amis et mes proches sans observer le moindre changement, je ne sais plus pourquoi je descends dans la rue, il est désormais devenu clair que **rien ne changera**.
Je ne peux parler de mon mal-être à mes amis, je sais qu'il habite nombre d'entre eux également.
Nos études n'ont désormais **plus aucun sens**, nous avons perdu de vue le sens de ce que nous apprenons et la raison pour laquelle nous l'apprenons car il nous est désormais **impossible de nous projeter sans voir le triste futur qui nous attend**.
Chaque semaine une nouvelle décision du gouvernement vient **assombrir le tableau de cette année**.
Les étudiants sont **réduits au silence**, privés de leurs traditionnels moyens d'expression.
Bientôt un **blocage d'université** nous conduira à une amende de **plusieurs milliers d'euros** et à une peine de **prison ferme**.
Bientôt les travaux universitaires seront soumis à des **commissions d'enquêtes** par un gouvernement qui se targue d'être le grand défenseur de la liberté d'expression.
Qu'en est-il de ceux qui refuseront de rentrer dans le rang ?
Je crois avoir ma réponse.
Samedi soir, le 5 décembre, j'étais présent place de la République à Paris.
J'ai vu les **forces de l'ordre lancer à l'aveugle** par-dessus leurs barricades anti-émeutes **des salves de grenades GM2L** sur une foule de manifestants en colère, habités par une rage d'en découdre avec ce gouvernement et ses représentants.
J'ai vu le jeune homme devant moi **se pencher pour ramasser ce qui ressemblait à s'y méprendre aux restes d'une grenade lacrymogène** mais qui était en réalité **une grenade GM2L** tombée quelques secondes plus tôt et n'ayant pas encore explosé.
Je me suis vu lui crier de la lâcher lorsque **celle-ci explosa dans sa main**.
Tout s'est passé très vite, je l'ai empoigné par le dos ou par le sac et je l'ai guidé à l'extérieur de la zone d'affrontements.
Je l'ai assis au pied de la statue au centre de la place et j'ai alors vu ce à quoi ressemblait **une main en charpie, privée de ses cinq doigts**, sorte de bouillie sanguinolente.
Je le rappelle, **j'ai 21 ans et je suis étudiant en sciences sociales**, personne ne m'a appris à traiter des **blessures de guerre**.
J'ai crié, crié et appelé les street medics à l'aide.
Un homme qui avait suivi la scène a rapidement accouru, il m'a crié de faire un garrot sur le bras droit de la victime.
**Un garrot...**
Comment pourrais-je avoir **la moindre idée de comment placer un garrot** sur une victime qui a perdu sa main moins d'une minute plus tôt ?
Après quelques instants qui **m'ont paru interminables**, les street medics sont arrivés et ont pris les choses en main.
Jamais je n'avais fait face à un tel **sentiment d'impuissance**.
J'étais venu manifester, exprimer **mon mécontentement contre les réformes** de ce gouvernement qui refuse de baisser les yeux sur **ses sujets qui souffrent**, sur **sa jeunesse qui se noie** et sur toute cette frange de la population qui **suffoque dans la précarité**.
Je sais pertinemment que mes protestations n'y changeront rien, mais manifester le samedi me permet de garder à l'esprit que **je ne suis pas seul**, que le mal-être qui m'habite est **général**.
Pourtant, ce samedi plutôt que de rentrer chez moi **heureux d'avoir revu des amis** et d'avoir rencontré des gens qui gardent espoir, je suis rentré chez moi **dépité, impuissant et révolté**.
Dites-moi Monsieur, comment un étudiant de 21 ans qui vient **simplement exprimer sa colère la plus légitime** peut-il se retrouver à tenter d'installer **un garrot sur le bras d'un inconnu qui vient littéralement de se faire arracher la main** sous ses propres yeux, à seulement deux ou trois mètres de lui ?
Comment en suis-je arrivé là ?
**Comment en sommes-nous arrivés là ?**
Je n'ai plus peur de le dire.
**Aujourd'hui j'ai un dégoût profond pour cette République moribonde.**
Les individus au pouvoir ont perverti ses valeurs et l'ont transformée en appareil répressif à la solde du libéralisme.
J'ai développé malgré moi **une haine profonde pour son bras armé**, qui défend envers et contre tout ces hommes et ces femmes politiques qui n'ont que faire de **ce qu'il se passe en bas de leurs châteaux**.
J'ai toujours défendu des **valeurs humanistes et pacifistes**, qui m'ont été inculquées par **mes parents** et desquelles j'ai jusqu'ici toujours été très fier.
C'est donc **les larmes aux yeux que j'écris ceci** mais dites-moi Monsieur, comment aujourd'hui après ce que j'ai vu pourrais-je **rester pacifique** ?
Comment ces individus masqués, sans **matricules pourtant obligatoires** peuvent-ils nous mutiler en toute impunité et **rentrer chez eux** auprès de leur famille comme si **tout était normal** ?
Dans quel monde vivons-nous ?
Dans un monde où une association de policiers peut ouvertement **appeler au meurtre des manifestants** sur les réseaux sociaux, dans un monde où les parlementaires et le gouvernement souhaitent **renforcer les pouvoirs de cette police administrative** qui frappe mutile et tue.
Croyez-moi Monsieur, lorsque je vous dis qu'il est bien difficile de rester pacifique dans un tel monde...
Aujourd'hui **être français est devenu un fardeau**, je suis l'un de ces individus que l'État qualifie de « séparatiste », pourtant je ne suis pas musulman, ni même chrétien d'ailleurs.
Je suis blanc, issu de la classe moyenne, **un privilégié en somme**...
Mais quelle est donc alors cette religion qui a fait naître en moi **une telle défiance vis-à-vis de l'État et de la République** ?
Que ces gens là-haut se posent **les bonnes questions**, ma haine pour eux n'est pas due à un quelconque endoctrinement, je n'appartiens à l'heure actuelle à aucune organisation, à aucun culte « sécessionniste ».
Pourtant je suis **las d'être français**, las de me battre pour un pays qui ne veut pas changer.
Le gouvernement et les individus au pouvoir sont ceux qui me poussent vers le séparatisme.
Plutôt que de mettre sur pied des lois visant à réprimer le séparatisme chez les enfants et les étudiants, **qu'ils s'interrogent sur les raisons** qui se cachent derrière cette défiance.
La France n'est plus ce qu'elle était, et **je refuse d'être associé à ce qu'elle représente aujourd'hui**.
Aujourd'hui et malgré moi **je suis breton avant d'être français**.
Je ne demanderais à personne de comprendre mon raisonnement, seulement aujourd'hui j'ai besoin de me raccrocher à quelque chose, **une lueur, qui aussi infime soit-elle** me permette de croire que tout n'est pas perdu.
Ainsi c'est à regret que je dis cela mais cette lueur je ne la retrouve plus en France, **nous allons au-devant de troubles encore plus grands**, le pays est divisé et l'antagonisme grandit de jour en jour.
Si rien n'est fait, les jeunes qui comme moi chercheront une sortie, **un espoir alternatif** en lequel croire, quand bien même celui-ci serait utopique, seront bien plus nombreux que ne l'imaginent nos dirigeants.
Et ce ne sont pas leurs lois contre le séparatisme qui pourront y changer quelque chose.
Pour certains cela sera **la religion**, pour d'autre comme moi, **le régionalisme**.
Comment pourrait-il en être autrement quand 90% des médias **ne s'intéressent qu'aux policiers armés jusqu'aux dents** qui ont été malmenés par les manifestants ?
Nous sommes plus de 40 heures après les événements de samedi soir et pourtant je n'ai vu nulle part mentionné le fait qu'un **manifestant avait perdu sa main**, qu'un journaliste avait été **blessé à la jambe** par des éclats de grenades supposées sans danger.
Seul ce qui reste de **la presse indépendante** tente encore aujourd'hui de faire la lumière sur **les événements terribles qui continuent de se produire** chaque semaine.
Soyons reconnaissants qu'ils continuent de le faire **malgré les tentatives d'intimidation** qu'ils subissent en marge de chaque manifestation.
Je tenais à vous le dire Monsieur, **la jeunesse perd pied**.
Dans mon entourage sur Paris,les seuls de mes amis qui ne partagent pas mon mal-être sont ceux qui ont décidé de **fermer les yeux et de demeurer apolitiques**.
Comment les blâmer ?
Tout semble plus simple de leur point de vue.
Nous sommes **cloîtrés chez nous** pendant que la planète se meurt **dans l'indifférence généralisée**, nous sommes rendus **responsables de la propagation du virus** alors même que nous sacrifions nos jeunes années pour **le bien de ceux qui ont conduit la France dans cette impasse**.
Les jeunes n'ont **plus l'envie d'apprendre** et les enseignants plus l'envie d'enseigner à des **écrans noirs**.
Nous sacrifions nos samedis pour aller protester contre ce que nous considérons comme étant **une profonde injustice**, ce à quoi l'on nous répond par **des tirs de grenades, de gaz lacrymogènes ou de LBD** suivant les humeurs des forces de l'ordre.
Nous sommes l'avenir de ce pays, pourtant **l'on refuse de nous écouter, pire, nous sommes muselés**.
Beaucoup de choses ont été promises, nous ne sommes pas dupes.
Ne gaspillez pas votre temps à me répondre.
Il s'agissait surtout pour moi d'écrire mes peines.
Je ne vous en fait part que parce que je sais que cette lettre ne constituera pas une surprise pour vous.
Vous êtes au premier rang, vous savez à quel point l'abîme dans lequel sombre la jeunesse est profond.
Je vous demanderai également de ne pas vous inquiéter.
Aussi sombre cette lettre soit-elle, j'ai toujours la tête bien fixée sur les épaules et j'attache trop d'importance à l'éducation que m'ont offert mes parents pour aller faire quelque chose de regrettable, cette lettre n'est donc en aucun cas un appel au secours.
J'éprouvais seulement le besoin d'être entendu par quelqu'un qui, je le sais, me comprendra.
*Mateo*